Label-Idées : Laurence Vanin - Philosophe

Hommage national à Antoine de Saint-Exupéry : le silence des médias !

Quelle honte ! Pas une image ce soir "à la grand messe du 20 h" sur l'hommage national -rendu au Panthéon- à Antoine de Saint-Exupéry, pilote, écrivain, mort pour la France.... Un homme qui avait le sens du devoir, des responsabilités !

Extrait du Secret du petit prince :

"A son arrivée à New-York le 31 décembre 1940, Saint-Exupéry ne pensait rester que trois semaines aux Etats-Unis, il ne soupçonnait pas que son séjour durerait en réalité vingt-sept mois.

Comme bien des militaires français Saint-Exupéry supporte mal l'invasion allemande et déplore la rapidité avec laquelle la France a capitulé. Lui, qui venait de rejoindre son unité basée temporairement à Alger avec une quinzaine de pilotes dans l'esprit de former la contre-attaque, apprend que l'armistice a été signée la veille de son arrivée. Dans l'attente de sa démobilisation, Saint-Exupéry a le temps de réfléchir au désastre et à la défaite de la France. Il a pris conscience, en France, de la fragilité de sa liberté. Même si son statut d'écrivain lui a permis de se rendre en zone libre, il savait que cette liberté de mouvement n'était pas garantie. Mais là il sent qu'un cap est franchi, ce qui l'affecte énormément. Le 31 juillet il est rendu à la vie civile.

C'est pourquoi il choisit de se rendre en Amérique car il pensait qu'à partir de ce pays il pourrait mobiliser ses forces et inciter les Américains à combattre Hitler aux côtés des Anglais et des Français.

Par ailleurs, ses éditeurs l'ont convié à s'imprégner du succès qui lui revient depuis la parution de Wind, Sand and Stars (Terre des hommes) qui est alors exposé dans toutes les vitrines des libraires. A son arrivée, de nombreux journalistes sont présents pour interviewer l'écrivain, qui ne s'attendait pas à une telle effervescence… De leur côté, ils ignorent que Saint-Exupéry a longtemps hésité à rejoindre l'Amérique.

Préalablement, il a consulté ses amis Léon Werth réfugié à Saint Amour à qui il dédicacera son conte, mais aussi Charles Sallès qui s'est installé à Tarascon.

Avant de partir pour New-York, il s'est rendu à Vichy afin de récupérer ses laissez-passer et il est également passé par Paris. Ce qu'il y verra et vivra le confortera dans son idée de partir. Il confiera à son ami Robert Boname : "Mon vieux, il n'y a plus rien à faire ici, je m'en vais."

Après les adieux à sa famille, il embarque à Marseille sur le Ville-d ‘Alger. Là, transitant par l'Algérie et le Maroc, il débarque à Lisbonne le 16 novembre. Ce qu'il constate lui laisse un goût amer :

"Lisbonne devait aussi son climat de tristesse à la présence de certains réfugiés. Je ne parle pas des proscrits à la recherche d'un asile. Je ne parle pas d'immigrants en quête d'une terre à féconder par leur travail. Je parle de ceux qui s'expatriaient loin de la misère des leurs pour mettre à l'abri leur argent.

N'ayant pu me loger dans la ville même, j'habitais Estoril auprès du casino. Je sortais d'une guerre dense : mon groupe aérien, qui durant neuf mois n'avait jamais interrompu ses survols de l'Allemagne, avait encore perdu, au cours de la seule offensive allemande, les trois quarts de ses équipages. J'avais connu, de retour chez moi, la morne atmosphère de l'esclavage et la menace de la famine. J'avais vécu la nuit épaisse de nos villes. Et voici qu'à deux pas de chez moi, chaque soir, le casino d'Estoril se peuplait de revenants. "

Le constat est terrible. Saint-Ex pense que les hommes sont insouciants ou dans le déni de l'histoire. Certains pensaient sans doute qu'ils seraient épargnés… Mais la suite des événements leur donnera tort. Toutefois, leur désinvolture heurtait la sensibilité du pilote, qui, réaliste, avait de son côté bien compris que l'heure était sombre et qu'il était à présent urgent de devenir clairvoyant.

"Comme des vivants. Ils jouaient des fortunes qui, peut-être, à cette minute même, étaient vidées de significations. Ils usaient de monnaies peut-être périmées. Les valeurs de leurs coffres étaient peut-être garanties par des usines déjà confisquées ou, menacées qu'elles étaient par les torpilles aériennes, déjà en voie d'écrasement. Ils tiraient des traites sur Sirius. Ils s'efforçaient de croire, en se renouant au passé, comme si rien depuis un certain nombre de mois n'avait commencé de craquer sur terre, à la légitimité de leur fièvre, à la couverture de leurs chèques, à l'éternité de leurs conventions. C'était irréel. "

De surcroît, le 27 novembre le pilote apprend une bien triste nouvelle, la disparition de son ami et complice de l’Aéropostale : Guillaumet.

 

"J'ai connu, vous avez peut-être connu, ces familles un peu bizarres qui conservaient à leur table la place d'un mort. Elles niaient l'irréparable. Mais il ne me semblait pas que ce défi fût consolant. Des morts on doit faire des morts. Alors ils retrouvent, dans leur rôle de morts, une autre forme de présence. Mais ces familles-là suspendaient leur retour. Elles en faisaient d'éternels absents, des convives en retard pour l'éternité. Elles troquaient le deuil contre une attente sans contenu. Et ces maisons me paraissaient plongées dans un malaise sans rémission autrement étouffant que le chagrin. Du pilote Guillaumet, le dernier ami que j'ai perdu et qui s'est fait abattre en service postal aérien, mon Dieu ! J'ai accepté de porter le deuil. Guillaumet ne changera plus. Il ne sera plus jamais présent, mais il ne sera jamais absent non plus. J'ai sacrifié son couvert à ma table, ce piège inutile, et j'ai fait de lui un véritable ami mort. "

Ou encore :

« Guillaumet est mort, il me semble ce soir que je n'ai plus d'amis.

Je ne le plains pas. Je n'ai jamais su plaindre les morts, mais sa disparition, il va me falloir si longtemps pour l'apprendre -et je suis déjà lourd de cet affreux travail. Cela va durer des mois : j'aurais si souvent besoin de lui.

On vieillit donc si vite ! Je suis le seul qui reste de l'équipe Casa-Dakar. Des anciens jours de la grande époque des Bréguet XIX, Collet, Reine, Lassalle, Beauregard, Mermoz, Etienne, Simon, Lécrivain, Wille, Verneilh, Riguelle, Pichodou et Guillaumet, tous ceux qui sont passés par là, sont morts, et je n'ai plus personne sur terre avec qui parta-ger des souvenirs. Me voilà vieillard édenté et seul, qui remâche tout cela pour lui-même. Et d'Amérique du Sud, plus un seul, plus un...

Je n'ai plus un seul camarade au monde à qui dire : "Te rappelles-tu ?"

Quelle perfection dans le désert. Des huit années les plus chaudes de ma vie, il ne reste plus que Lucas, qui n'était qu'agent administratif, et qui est venu tard à la ligne, et Dubourdieu, avec qui je n'ai jamais vécu, car il n'a jamais quitté Toulouse.

Je croyais que ça n'arrivait qu'aux très vieilles gens, d'avoir semé sur leur chemin, tous leurs amis, tous. »

 

Le 15 janvier 1941, il est l'invité d'honneur d'un banquet organisé à l’hôtel Astor, qui réunit mille cinq cents convives et durant lequel lui est remis le National Book Award (prix national du livre). Il est célèbre et adulé, sollicité de toute part.

 

Pourtant Saint-Exupéry n'est pas à la fête. A la déchirure consécutive à la disparition de Guillaumet, s'ajoutent les critiques. En effet ses détracteurs ont organisé une véritable campagne de dénigrement. Les relations avec la colonie française se révèlent compliquées. Les gaullistes font courir sur lui de nombreuses et affreuses rumeurs depuis que les partisans de Vichy l'ont nommé, sans son accord et comme pour lui forcer la main, au Conseil national de leur association.

"Saint-Exupéry ? C'est un agent de Vichy, il est en train d'acheter des billets d'avion pour Pétain".

Saint-Exupéry ne souhaitait pas se ranger dans un camp ni dans l'autre, car il se voulait libre. La seule chose dont nous pouvons être sûr, pour s'en être confié dans des correspondances, c'est qu'il détestait le marxisme et qu'il voyait dans le nazisme de la bassesse.

Heurté par ses manœuvres qu'il juge scandaleuses il les dénonce dans une interview donné le 31 janvier 1941 au New York Times :

"M. de Saint-Exupéry, arrivé de France il y a un mois environ, a exposé qu'il n'est pas un homme politique et qu'il préfère exercer son influence, s'il en a une, au moyen de ses écrits. De plus, il n'a pas été informé officiellement de cette désignation, et il déclare : "j'aurais décliné la présente nomination si j'avais été consulté".

 

Il est vrai que la colonie française de New York se divisait en trois camps. Les pétainistes, les gaullistes et au centre un groupe d'individus qui ne souhaitaient pas prendre parti.

Il confiera plus tard à Pierre Chevrier, dans une de ses lettres postée d'Alger en octobre 1943 :

"J'ai la preuve (dont je me doutais), que les gaullistes me volent toutes mes lettres. Moi qui m'angoisse si terriblement, je suis comme en prison. Les lettres qui me sont adressées vont à Dieu sait quel cabinet noir, dont elles ne ressortent jamais plus. Désert de silence, et tous les fantômes me font mal."

De plus, ses éditeurs Eugène Reynal et Curtice Hitchcock souhaitaient qu'il écrive un ouvrage chargé d'expliquer la défaite de la France à des Américains qui considéraient que les Français n'avaient pas suffisamment combattus. Les premières réactions furent houleuses, selon le témoignage de Lewis Galantière, son traducteur :

 

"… il se mettait en colère parce qu'il estimait que c'était insultant pour la France, ensuite parce qu'il n'aimait pas qu'on le prenne pour un plumitif capable d'écrire sur commande."

Le professeur Léon Wencelius affirmait que le pilote "rêvait en arrivant à New York de rejoindre Londres. Le spectacle des divisions entre Français l'empêcha de prendre parti pour des groupements qui, en Amérique, s'étaient transformés en factions… Au lieu de se mêler à la division, l'aviateur recherchait l'union."

Anne Morrow Lindbergh, épouse du célèbre pilote, qui était également une pionnière de l’aviation écrivait alors, en mars 1941, dans son Journal :

"J'espère, je prie pour que Saint-Exupéry puisse rester libre, pur, intact, à une époque où chacun est catalogué, étiqueté blanc ou noir, contraint de prendre parti. Oh ! Combien j'espère qu'il pourra rester au-dessus de la mêlée pour écrire".

 

C'est ce qu'il fit, puisque marginalisé, il préférait se consacrer à l'écriture, celle de Citadelle…

Puis à la demande insistante de son éditeur, Saint -Exupéry entreprit l'écriture du Petit prince dont la publication était prévue pour Noël 1942. Ce projet ne l'enchantait guère, mais il s'y consacra car c’était une œuvre ni politique, ni partisane, mais qui lui permettait de faire passer un message humaniste à l'heure où l'Europe était sous l'emprise allemande, du fascisme et du nazisme." Laurence Vanin

Saint exupery principito

 

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